Discours d'ouverture du Cinquantenaire du Cafi.
Discours d'ouverture
Cinquantenaire de l'arrivée des Rapatriés d'Indochine au camp de Sainte Livrade-sur-Lot,
festivités des 13, 14 et 15 août 2006.
Nina SINNOURETTY-DOUART
Cinquante ans après DIEN BIEN PHU et à la suite des accords de Genève, la métropole a dû recevoir de nombreux rapatriés eurasiens du Sud et du Nord Vietnam. C'est ici, dans cet ancien camp militaire que sont arrivés en 1956,1160 réfugiés, dont 740 enfants, qui fuyaient la guerre et le communisme.
L'état a hébergé ces rapatriés provisoirement dans ce camp qui devait être de transit selon les mots employés à l'époque par les autorités. Les directeurs de ce camp, anciens fonctionnaires des colonies, reproduisaient avec nous leurs mauvaises habitudes de là-bas. Ils nous traitaient comme des citoyens de seconde zone et totalement irresponsables. Nous devions respecter le couvre-feu, le lever du drapeau tricolore. Les privations et le rationnement resteront gravés dans les mémoires.
Huit ministères successifs avaient eu à résoudre l'angoissant problème de notre intégration et à reclasser une population aux origines et aux fortunes diverses.
Quand certains prétendent que les conditions de vie octroyées lors du rapatriement des membres de la communauté indochinoise ne furent pas pire que celles connues par d'autres populations françaises, il faut bien remarquer que dans le cas des indochinois rapatriés, le déplacement n'est nullement consécutif à un choix délibéré de leur part. Echaudés qu'ils étaient par les avertissements des autorités indochinoises, " suivez-nous " leur disait-on, " Si vous restez, vous allez vous faire massacrer ", ils étaient convaincus d'être des traîtres à la cause vietnamienne. Là se situe bien leur traumatisme. En vérité, nos parents n'avaient guère le choix, ils étaient liés aux autorités coloniales pour différentes raisons. Pour "le meilleur et pour le pire ", nos mères ont, pour certaines, rencontré des soldats des corps expéditionnaires et leur ont donné des enfants ; d'autres, étaient engagées dans les services de l'administration qui les lieront à la France.
Comparer la situation des rapatriés d'Indochine à un certain nombre de français de souche s'apparente à une manière d'éluder le problème de leur intégration. En effet, leur situation est surtout liée au fait que le Sud Vietnam, par l'intermédiaire du Consulat de France à Saïgon, refoulait alors sur la métropole une centaine de personnes par mois qui, acculées à la misère, arrivent en France dans un état physique, psychologique et matériel lamentables. Ils n'avaient pour seule richesse que leur conjoint, un ascendant et leur plus ou moins nombreuse progéniture, ainsi que de faibles effets, documents sauvés du naufrage, autant de souvenirs qui les rattachaient au pays natal pour leur servir de nouvel ancrage dans cet éden qu'il leur était promis.
Ces rapatriés étaient dirigés vers le centre de Noyant dans l'Allier pour les plus jeunes et les plus valides, jugés aptes au travail ou sur Sainte Livrade-sur-Lot, véritable centre médico-social, pour les gens jugés inaptes, les femmes seules avec leurs enfants et des vieillards. Nos pères étaient la plupart du temps malades ou trop âgés pour se reclasser et permettre de vivre dignement.
Après des années de silence et d'abandon de l'Etat, se constituait au CAFI une forme de vie séparée à l'écart de la prospérité de la Société française : " quelles retombées les 30 glorieuses ont-elles eu sur le CAFI ? ". Ainsi les conditions de vie se détériorent, les bâtiments se délabrent, ne répondent plus aux normes de confort et de sécurité dignes de notre époque comme en témoignent des incendies qui ont ravagé des bâtiments occupés et dont le dernier, le 31 décembre 2005, a causé la fin tragique d'une personne âgée livrée à elle-même et abandonnée de tous.
Ces dernières années ont vu le réveil de l'Etat, interpellé et rappelé à ses devoirs envers les rapatriés d'Indochine. Pendant 50 ans sur le sol français, nous avons assumé nos devoirs de citoyens français mais il est juste que nous nous souvenions que nous avons aussi le droit à un traitement équitable qui nous rétablit dans notre dignité. En effet, est-il juste d'oublier les rapatriés d'Indochine dans les 4 textes de loi votés en 1961 sur les rapatriés, d'oublier que le CAFI et les rapatriés d'Indochine ont vécu dans ces lieux ? A la reconnaissance morale aux rapatriés d'Indochine prescrite dans la loi de février 2004, doit s'ajouter la reconnaissance matérielle afin d'inclure à la perte de leurs biens ces dizaines d'années de souffrance et de privations subies par nos parents et nous-mêmes pour survivre et construire une vie digne et convenable.
Sans doute pour se donner bonne conscience et refouler encore davantage dans l'oubli le problème des rapatriés et du CAFI, l'opinion publique et les autorités entretiennent l'image du rapatrié d'Indochine qui a réussi son intégration, ne causant pas de problème majeur à la société. C'est régler à bon compte cette souffrance et ces privations que nos parents ont endurées et que nous avons tous subis pendant notre enfance et dont certains d'entre nous ont payé et payent encore le prix.
Les années et les générations passent mais ces souffrances demeurent. Elles sont présentes, elles sont visibles dans la béance laissée par ces bâtiments incendiés et démolis, dans les marques que laissent les intempéries comme des cicatrices qui s'abattent sur la CAFI, dans le vieillissement et la décrépitude des dernières personnes âgées, survivantes d'un naufrage qui les a laissées sans avenir il y a 50 ans.
Parallèlement à la reconnaissance, a été entamé il y a 3 ans une étude sur le problème de la rénovation du CAFI pour laquelle les habitants ont été consultés. Cette opération a fait l'objet d'études sociale, urbanistique, architecturale et financière. Elle a reçu l'approbation de l'ensemble des autorités : préfecture, sous-préfecture, mairie, comité de pilotage. Cette étude avait en outre l'avantage de respecter le milieu et le plan historique du CAFI ainsi que, dans la mesure du possible, la volonté de ses habitants. Ce projet ne paraissait pas déraisonnable et ni démesuré pour l'Etat au regard de 50 années d'injustice subies par ses habitants. Hélas, ce projet présenté au plus haut niveau de l'Etat, dans les différents Ministères (Budget, Intégration, Affaires sociales), a été rejeté, plongeant de nouveau les habitants du CAFI dans l'incertitude. Les mêmes questions se posent :
- qu'en est-il du caractère spécifique, c'est à dire historique du CAFI (avec cette obligation de créer des logements sociaux ouverts à la mixité sociale) ?
- qu'en est-il de l'architecture et du plan des lieux à laquelle ses habitants sont attachés notamment les personnes âgées qui risquent un deuxième déracinement ?
Au-delà de ces questions se pose le problème de la survivance et de la pérennité du CAFI que nous voulons transmettre aux générations futures pour que la tradition et le souvenir demeurent. Par l'organisation de cette fête annuelle, nous manifestons ainsi notre attachement à ce lieu qui nous a vus grandir et auquel nous sommes liés par tant de souvenirs heureux ou malheureux.
Nina Sinnouretty-Douart, Camp de Sainte Livrade-sur-Lot, le 13 août 2006, 20 heures 30.
Défilé de tenues traditionnelles vietnamiennes
Brochure officielle des 50 ans du Cafi
|