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Dans l'enfer Indochinois - livre de Alain Castets


 
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Nina
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MessagePosté le: Jeu Juil 04, 2024 09:14    Sujet du message: Dans l'enfer Indochinois - livre de Alain Castets Répondre en citant

A paraître début juillet 2024 chez Les Impliqués Editeur

THI MAÏ Dans l'enfer indochinois
Alain Castets
Prix : 25 € (remise de 4 € aux participants, soit 21 €)

RENCONTRES AVEC L'AUTEUR avec dédicaces et lecture-débat.

Un roman explosif : "Thi Maï - Dans l'enfer indochinois"

Ce roman vrai paradoxal (ni les événements ni les personnages ne sont fictifs) a dû affronter tout autant les traumatismes familliaux de l'auteur que les puissants tabous politiques et militaires. Ce témoignage étaye des révélations explosives parce qu'au cœur des événements tragiques. Son apport à la Mémoire commune est plus que bouleversant : il invalide la version officielle de la « belle Indochine » et celle du colonialisme présenté comme un bénéfice humaniste apportant la modernité et l'éducation à des peuples attardés, lesquels, outre l'oppression militaire, économique et raciste extrêmes, ont subi des millions de morts et des territoires en cendres. De fait, le devoir de Mémoire se double d'un devoir essentiel de vérité, de justice et de compassion.

Pour autant, comme une fleur de lotus qui aurait son pied dans la boue et le sang, transgressant les drames de l'Histoire, court en filigrane une mission mystérieuse, la quête comme d'une pierre de rosette d'un message perdu, peut-être le message ultime du roman, une dimension stupéfiante de l'amour, portées par la figure féminine de Thi Maï, au prénom si symbolique de « Bouton de fleur ». Qu'en adviendra-t-il ?


La 4ème de couverture du livre.

En l'an 1902, l'amour fou entre le jeune dreyfusard Valentin et la rebelle Thi Maï lance une saga aux destins tragiques qui va traverser l'Indochine, dans un Vietnam fascinant, de la conquête coloniale à la défaite. Leurs deux filles métisses, Suzanne et Henriette, avec leurs enfants, pourront-elles s'en sortir, au cœur de ce climat racial et de quinze ans de guerre ?

Ce roman atypique et bouleversant se fonde sur le témoignage exceptionnel d'une famille qui a payé l'un des plus lourds tributs à l'Indochine. Son apport iconoclaste percute l'occultation de la conscience française.

L'écriture historique se double d'un croisement culturel, sensuel, spirituel et de pure poésie qui transgresse l'Histoire autour de l'extraordinaire Thi Maï la chamane et de sa mission. Une ode à l'humain, à l'amour, à l'universel.


Alain Castets est né à Vientiane au Laos.



Apercus (extraits - 10 pages)

- Création de l'Indochine (chapître 4)
- Le racisme institutionalisé (chapître 6)
- La chamane (chapître 7)
- Reprise de la guerre coloniale en 1946 (chapître 16)
- Diên Biên Phu, un acharnement suicidaire (chapître 23)
- Quand la folie préside... (chapître 25)

*

Création de l'Indochine (chapître 4)

(...)
Deux mois après, il annonça la terrible nouvelle.
- Devine ce qu'ils ont osé faire ? Ils ont supprimé le Vietnam !
Madame Nguyen semblait ne pas comprendre.
Tu as bien entendu, ils ont supprimé notre pays, le Vietnam ! Interdit même de prononcer son nom. Incroyable ! Ils l'ont cassé en 3 pays, la Cochinchine, propriété française, le Tonkin, lui aussi propriété française, et au centre, le royaume d'Annam sous leur tutelle.
Il refoula des sanglots.
Nous ne sommes plus des Vietnamiens, nous sommes maintenant des Annamites. Rends-toi compte, ces Français découpent les pays et leurs populations à leur guise et leur donnent d'autres noms. Ils ont créé un agglomérat de territoires qu'ils appellent Indochine en y incluant le Cambodge. Ils vont bientôt y ajouter un pays introuvable, le Laos, à peine peuplé de 400.000 habitants, vraiment tout au plus.
L'année suivante, fin octobre 1888, Monsieur Nguyen se précipita vers son épouse, l'air dévasté, en larmes.
- Ils ont réussi à capturer notre jeune empereur qui se cachait dans les forêts. Il a été trahi par le chef des Muong, Que va-t-il advenir de lui ? Il paraît qu'il a refusé de pactiser avec les Français. Pour nous, c'est terminé, fini ! Nous n'existons plus !
Elle le prit dans ses bras, le berçant contre elle.
- Ne désespère pas, cher époux. Nous n'avons pas lutté pour rien. Nos montagnes, nos rizières, nos rivières, nos jungles restent et resteront vietnamiennes. L'esprit de résistance veille partout, il est à l'oeuvre depuis des siècles, depuis toujours. Cela me rappelle le poète chinois taoïste que tu aimes, Li Po :
« M'attire la haute Etoile brillante
Une fleur de lotus dans sa main blanche.
Me penchant, coule le fleuve en bas,
Le défilé sans fin des troupes barbares.
L'herbe sauvage encore gorgée de sang fume.
Loups et chacals portent des coiffes d'hommes ! »

Et tandis que Paul Doumer, le premier Gouverneur Général civil, dressait l'Etat colonial en choisissant Hanoï comme capitale d'où l'on fantasmait sur « l'immense fromage de la Chine »... Et tandis que s'élevaient les tonitruants chants de victoire : « Gloire aux artilleurs ! Gloire aux Amiraux et à leur main de fer ! Gloire au Christ vainqueur et à sa lumière sur le monde ! » (chut ! interdit d'en parler, la Résistance avait revêtu des allures de cauchemar, 15.000 européens et 30.000 soldats coloniaux africains tués)... Et tandis que fusaient les glorias et les alléluias car la France touchait enfin au but ultime, l'acquisition de la province chinoise maritime du sud afin de rivaliser avec Hong-Kong...
Madame Nguyen soutenait le moral effondré de son mari.
- Puisque nous ne pouvons éviter l'épreuve, adaptons-nous à ce destin où une race d'hommes va plonger notre pays et nos enfants dans un terrible malheur. Pour combien de temps ? Notre force sera de survivre, je sais que jamais nous ne nous résignerons.
Par-dessus le Fleuve Rouge qui, en hautes eaux, possède un débit double de celui du Nil et un delta couvert à perte de vue de digues servant de routes et de chemins, s'éleva son chant improvisé, un chant aux notes graves, avec la petite Thi Maï accrochée à sa jambe.
Vietnam, pleure ! Pleure,Vietnam !
Ton nom brisé en trois morceaux,
Bouddha jeté aux pourceaux,
Vietnam, vis et sauve ton âme !

*

Le racisme institutionalisé (chapître 6)
(...)
L'exécrable pour Valentin, il le fit savoir tout de suite à Thi Maï, ce fut sa plongée dans le règne fangeux du racisme. Il se souvenait très bien de son premier matin à la caserne où, après le lever du drapeau, un capitaine fort en gueule, au ton cassant, avait harangué la troupe des nouveaux arrivants.
- Mettez-vous bien ça dans le crâne ! Une bonne société est une société hiérarchisée ! Ici, vous représentez la France, l'Empire français, la race blanche supérieure. Vous êtes le sommet de la société, vous portez la civilisation. Ne vous étonnez pas, il est interdit aux Blancs d'effectuer les boulots de manœuvres et de service. Nous laissons ça aux Métis et aux Annamites, les niaks ou niakoués ou culs-terreux si vous voulez. L'Annamite est né pour servir domestique. Adjudant, vous voulez préciser quelque chose ?
- Vous constaterez - poursuivit l'adjudant, la langue déjà lourde et tout rougeaud d'alcool - que les Français et les Indochinois vivent à l'écart. Le Congrès colonial a demandé de bâtir des cités blanches bien séparées. Pourquoi ? Question de race bien sûr, mais aussi parce que l'Indigène est un danger sanitaire porteur de maladies. Lors de vos permissions, ne soyez jamais seuls, tenue impeccable, souliers cirés. Evitez la zone indigène, elle est peu contrôlable, truffée de receleurs et de mendiants. Ne buvez que de l'eau bouillie ou plongez à pic dans la bière (rires).
- Quant aux femmes - reprit le capitaine dont le dernier mot déclencha un frisson irrépressible chez les soldats -, oh ! je connais votre préoccupation et je veux l'aborder de front. Méfiez-vous ! Ici, on n'effeuille pas la marguerite ! La congaï est le danger extrême, un petit animal difficile à classifier qui participe à la fois du singe, de l'écureuil et de la femme... Soldat Durand !
Valentin releva la tête, impossible de passer inaperçu.
Sors du rang !
Heureux de son trait d'esprit qui suscita quelques rires de lèche-bottes, le capitaine s'approcha de Valentin au garde-à-vous et l'examina suspicieusement, selon son dossier : Dreyfusard, à bloquer.
Tu ne sembles pas dans ton assiette. Mes mots te choquent ?
Effectivement, le dreyfusard ne s'attendait pas du tout à ce type de société. Ce propos raciste l'avait percuté pire qu'un coup de poing dans l'estomac, comme un éclaboussement de merde. S'il n'avait rencontré Thi Maï, il serait reparti à Paris.
L'anthropologie scientifique de l'époque appliquait à l'humanité la méthode naturaliste du classement des plantes. Elle établissait donc un classement descriptif de l'humanité en 4 grandes races de couleur, doublé d'un préjugé arbitraire : « la beauté supérieure de la couleur blanche » sur la jaune, la rouge et la noire (celle de Satan), y ajoutant une cinquième fourre-tout, les « Primitifs ou monstres divers ». Chacune se divisait en sous-races absurdes correspondant peu ou prou aux géographies des nations : races latines, anglo-saxonnes, germaniques, slaves... Ce dévoiement de la science n'a pas manqué d'être dénoncé plus tard par la science elle-même, établissant - avec quelle ironie ! - que le blanc et le noir ne sont pas de vraies couleurs (ou couleurs neutres), que les différences naturelles à l'échelle d'un individu ou d'un groupe ne sont pas des critères identitaires séparatifs biologiques dans l'humanité, enfin que tout être humain, Homo Sapiens, non seulement partage le même domaine génomique mais encore la même origine, l'Afrique.
La Colonie avait repris la classification raciste fondée en 1853 par Gobineau, entre races et civilisations supérieures blanches et races non blanches inférieures et sauvages. L'Indochine stipulait et légitimait une société raciale ségrégative affirmant la domination « naturelle » du Blanc.
Valentin se trouvait piégé. S'il répondait : - Oui, ça me choque, il s'opposait à la hiérarchie militaire. Et : - Non, ça ne me choque pas, il s'aplatissait devant le racisme établi. Cherchant au plus vite une parade, il lança au hasard :
- C'est l'écureuil, mon capitaine, je ne comprends pas.
- Ha, ha ! Bien vu !
A la surprise de Valentin, il se montra satisfait.
- Regagne ta place !
S'adressant à la compagnie d'une voix rauque :
- J'vais pas vous faire un dessin. Au-dessous du Blanc, se trouvent les Jaunes, quels qu'ils soient. Une couleur jaune écureuil, Durand, tu piges maintenant ? Une couleur terreuse, pisseuse qui incarne l'arriération de cette race de merdeux arriérés. Vous devez leur serrer la vis au maximum, les payer au minimum, ils gagnent 6 à 10 piastres par mois. Faites respecter la race blanche sans faiblir. Vous êtes les meilleurs, c'est Dieu qui l'a voulu ! Rien ne peut vous atteindre. Si l'une de ces fripouilles a du mal à comprendre, un bon coup de pied au cul ou une claque sur la tête lui ouvrira l'esprit mieux que tout autre argument. Frappez même sans raison, montrez que vous êtes de la race des forts. Rompez !
La Colonie avait instauré un régime d'impunité et de despotisme tel que le Blanc pouvait battre le Jaune à sa guise, voire le tuer. Son crime, ordre racial oblige, était peu puni de sorte que sa brutalité, devenue la coutume ordinaire, lui paraissait un mode charitable de communication.

Les jeunes militaires dans leurs temps libres fréquentaient les populations locales. Ils avaient débarqué en célibataires et cette fine fleur de la France supérieure ne rêvait que de faits héroïques remplis de fumeries et de vapeurs d'alcool embrumant son imaginaire exotique. Les anciens avaient vite rectifié le laïus du capitaine :
- Ah ! la beauté des jeunes tonkinoises aux seins pointus et aux yeux fendus ! Elles ne sont pas des mijaurées comme les pimbêches de chez nous.
Une mise au point officielle du Gouverneur Général, dès 1901, avait fermement condamné la « cohabitation avec des femmes indigènes ». On en avait donc appelé au fleurissement des bordels ségrégatifs pour les Blancs, et Valentin ne fut pas étonné du décollage des maladies vénériennes. Au début très surveillés, ces centres animés devinrent vite incontrôlables, on préférait rester anonymes, cacher son addiction.
- Attention ! Ils sont compartimentés selon la hiérarchie, prévinrent les anciens, bidasses en bas, gradés en haut. Le haut de gamme des Eurasiennes ou des Européennes, c'est Chez Betty rue Paul Bert, mais pas pour nous, seulement pour les personnalités civiles, militaires et... la chasteté ecclésiastique.
- Moi, je vous recommande la Rue de la Soie.
- Heureusement, ricana un caporal, nous avons le BMC, le bordel militaire de campagne, « la foire aux femmes », nos harems à volonté et à la chaîne. La vie de rêve ! Pas mieux pour l'homme que de répandre le sang et son sperme.
Le BMC escortait et motivait le déplacement des troupes, faute de quoi on louait sur place comme filles de joie, à la semaine ou au mois, « les villageoises crasseuses mais bien foutues », aux relents des vrais mâles condamnées. L'idéologie de la pureté raciale bannissant le métissage - le Métis ? un être hybride, totalement dégoûtant -, les enfants métis étaient abandonnés par le père français, recueillis avec hostilité dans la communauté maternelle, finissant parias ou prostituées.
Valentin et Thi Maï savaient tout cela (…)

*

La chamane (chapître 7)
(...)
De son côté, Thi Maï suivit comme prévu l'initiation de la chamane Dao qui avait discerné en elle cette force spontanée la reliant à l'invisible, quelque chose qu'elle avait à réaliser de transparent et en même temps d'impensable. Il lui fallait cependant réussir le rite de passage l'intronisant chamane, épreuve très risquée où l'on joue réellement sa vie.
C'était un soir de pleine lune, auprès d'un grand oiseau de feu battant des ailes et pépiant des nuées d'étincelles, nourri par la chamane qui lui jetait des poignées d'herbes aromatiques, des fleurs et des mousses séchées, frappant le sol avec ses pieds au son d'une mélopée rythmée tantôt par des gestes lents et gracieux, tantôt par des saccadés de bataille. - Comme l'arbre, nous appartenons à la terre, lui confia la petite montagnarde... Elle était vêtue d'un pantalon noir et d'une tunique croisée de lanières dorées, un foulard rouge serrant ses longs cheveux. - Vois ce grand arbre, c'est un génie, il parle avec le ciel et la terre, et le vent l'écoute. En lui l'Esprit de la Forêt veille. Prends-le un moment dans tes bras ! Thi Maï le serra comme on serre un amoureux, collé à son tronc, et elle sentit comme un frisson de joie parcourir l'écorce. - L'arbre et l'être humain, poursuivit la chamane, se tiennent par la main, la forêt nous donne son souffle et sa chaleur, il nous dit de nous enraciner à la terre si nous voulons comme lui durer et comprendre la terre. Regarde le feu que donne son bois, il t'indique la voie pour que ton feu intérieur se libère du bois de ton espèce et éclaire ta vie. Il est ton ami et si tu te sens perdue, va en confiance vers lui. Elle avait donné à Thi Maï un fort breuvage après cinq jours de jeûne et elle la surveillait de très près pour en sécuriser les effets. A demi-nue, pieds nus, Thi Maï ressentait en elle monter une force nouvelle, de plus en plus joyeuse, tournait maintenant autour des flammes dans un état second de transe corporelle et de rêve éveillé, sans dissolution de soi, au contraire, constatait-elle, gardant le sentiment aigu de la conscience des choses, sentant son corps grésiller et s'observant à l'extérieur d'elle-même. Soudain, elle discerna une superposition de couloirs, le double labyrinthe obscur dont elle devait sortir, celui du monde des hommes et le sien propre afin de plonger dans la lumière du Tout qui régit, entre autres espaces, celui des morts. Un passage plus périlleux que passer en hiver le gué d'un fleuve en furie car en face d'elle grondait, tapi dans un coin, le gardien du monde noir, un ogre multiformes qui en interdisait la sortie et broyait quiconque s'en approchait. Aussi terrifiant qu'il pût être, Thi Maï ne tremblait pas. Il lui fallut à la fois un relâchement total de son être et une concentration maximum de son esprit pour pouvoir réagir avec plus de vélocité et de ruse que le Géant doté d'une vitesse incroyable, capable comme un joueur d'échec d'anticiper sa ruse. Elle arriva, par des zigzags habiles, à le déporter suffisamment vers une fausse direction pour gagner le coup d'avance lui permettant de débouler à la sortie et franchir, soudainement apparu, le pont de lumière. Sur l'autre rive alors, debout, les bras en croix, paumes vers le ciel, avec des mouvements très lents de danse autour des hanches et dans un corps allégé, elle s'envola, basculant dans un univers, un espace-temps parallèle où elle se vit naviguer - voyage fou ! - parmi des planètes et des météorites, repoussant en passant les langues de Saturne qui semblaient menacer la Terre. Au retour, couchée à même le sol sur un lit de feuilles de bananier, elle sentit remonter en elle, mêlées aux infimes vibrations du centre de la terre, les fragrances et les ondes joyeuses de la forêt, les jappements des plantes en ses poumons, l'ombre et la salive de la lumière, jour et nuit qui s'étreignent, le corps enfin visible. Plénitude de rejoindre en larmes l'univers, de fouler son rire incompréhensible. Extase si intense qu'elle ne serait pas revenue dans son monde si la chamane ne l'avait tirée fortement par la main pour repasser le pont dont le féroce gardien, dans un hoquet, fondit à sa rencontre. Toute surprise, elle vit atterrir devant elle un homme brun, de taille moyenne, qui la croisa avec un sourire amical. La femme Dao recouvrit ses épaules d'une couverture et la serra très fort dans ses bras : - Maintenant, tu peux franchir tes frontières, tu es une femme illimitée, tu décideras du cri, tu traverseras les pleurs, tu peux parler aux formes de l'univers. - Et si tu m'avais abandonnée ? demanda Thi Maï. - Tu serais devenue folle ou ton cœur aurait lâché. Thi Maï en comprit l'avertissement, décida d'avancer prudemment dans sa voie.

*
Reprise de la guerre coloniale (chapître 16)

(...)
Car tout vient de basculer, prenant le monde à revers. En 1946, le souhait majoritaire réclame la paix. Pour Leclerc, l'exigence d'un gouvernement vietnamien tombe comme un principe logique de décolonisation, non à rejeter mais à favoriser dans une coopération pour reconstruire le pays, conserver une tête de pont favorable à la France en Asie. « Il faut savoir donner si l'on veut recevoir » dit un proverbe taoïste. D'autant que Hô Chi Minh, peu rassuré par le grand voisin chinois, fait le choix d'un Vietnam restant dans l'Union Française. L'ambition de De Gaulle, absent à Yalta et rêvant de réaffirmer sa place mondiale, le conduit à tout miser sur la restauration de l'ordre colonial inique, « la grandeur de l'Empire français » en miroir de sa propre grandeur, une idéologie fantasmatique aveugle aux réalités de l'évolution mondiale et aux Empires coloniaux craquant de partout, aveugle à la défaite écrasante de la France face à l'Allemagne et au Japon, aveugle au plébiscite triomphal reçu par le Vietminh au Tonkin. Les dés de l'indépendance avaient roulé, personne ne peut plus les reprendre, on n'arrête pas le mouvement des planètes même quand on s'appelle De Gaulle. Voulant imposer le retour à l'ordre ancien, il ouvre toute grande la porte de l'Enfer : « Laissez toute espérance, vous qui entrez », selon Dante. Il jette la France et l'Indochine dans l'arène d'une nouvelle guerre, conduisant « son char par-dessus les ossements des morts » (William Blake). Quelle mouche de malheur a piqué l'immense héros de la rébellion et de la Résistance française, condamné à mort par les Collabos de Vichy et les Nazis, au point de le transformer, un an à peine après avoir chassé l'Occupant allemand, en champion de l'Occupation militaire coloniale ? N'a-t-il jamais chanté ou du moins entendu le Chant des Partisans ?
« Ami entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne (...)
Ami, si tu tombes un ami sort de l'ombre à ta place.
Demain, du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Sifflez compagnons, dans la nuit la liberté vous écoute »

Qu'est-ce qui a pu lui tourner la tête ? Son éducation jésuite permettant tous les retournements ? Ou la bénédiction délirante que lui prononça le prêtre carmélite Thierry d'Argenlieu, jésuite lui aussi, voyant en lui une sorte de Jeanne d'Arc des temps modernes, envoyé par Dieu pour sauver la France ? Ou la croyance en la grandeur du colonialisme du toujours influent Albert Sarraut ?
Une mue record ! Si rapide qu'on la cache encore à demi-mots. Ecarté en janvier 1946, son orgueil frustré par dessus les peuples, il utilise l'Empire colonial comme marche-pied à son culte du chef providentiel et autoritaire, attise la guerre impérialiste, dénigre la démocratie parlementaire comme le « régime des partis ». Pour le peuple du Vietnam, la plongée dans trente ans de larmes et de sang.
Et dans l'enfer à ciel ouvert.
Il a le temps d'évincer Leclerc, de nommer Haut Commissaire à l'Indochine son adorateur dévoué l'amiral d'Argenlieu, l'exhortant à garder le cap de la recolonisation à tout prix. A tout prix ! Pour l'occasion, d'Argenlieu biffe et rebiffe de rouge son premier commandement biblique : « Tu ne tueras point ». Et les milieux colonialistes soutiennent, appuient à fond : la réévaluation de la piastre au double de sa valeur, décidée par De Gaulle en 1945, leur offre des fortunes à ramasser. (...)
Comme dans l'Affaire Dreyfus, toutes les Autorités françaises, Etat, Armée, Grande Presse, Religion, pourtant à peine sorties des horreurs de l'occupation fasciste, étayent un double mensonge d'Etat et dupe la nation pour justifier leur guerre d'occupation : le mensonge « civilisationnel » et le mensonge de la « Libération », mensonges matraqués en une véritable idéologie d'Etat.
Les « Informations » proclament d'un ton neutre qu'on sent servile : « Ces hordes de Sauvages vietminhs sont dirigées en secret par les Japonais. Nous continuons en Indochine le combat de la Libération contre le fascisme japonais et allemand. » (...)
Après une provocation des militaires français s'octroyant le contrôle douanier sur la rivière de Haïphong, le Vietminh, voyant son autorité et ses ressources financières mises en cause, répond par un lourd accrochage. En l'absence de Leclerc et sans attendre la formation du gouvernement Blum (la gauche vient de gagner les élections), d'Argenlieu et son bras droit, le général Valluy (en sous-main De Gaulle), précipitent « un coup d'état », dixit Valluy, lançant la reconquête coloniale le 28 novembre 1946.
Cette date marque le vrai début de la guerre d'Indochine,
En effet, brisant le traité de paix entre Leclerc et Hô Chi Minh, l'attaque sournoise assomme et reconquiert Haïphong. Les bombardements de l'aviation et de trois navires de guerre - plus de 1.000 cerbères ailés crachant le feu - s'abattent sur « la Venise du Tonkin » et sur ses maisons bourdonnantes, maintenant tremblantes et serrées d'effroi, dévorant officiellement 1.000 civils, plutôt 6.000 d'après l'enquête de l'amiral Battet. Le « nettoyage » touche les femmes, enfants, vieillards, animaux. Un crime de masse. On compte 24 soldats français tués. La censure totale prévaut en France, même le Parti communiste au gouvernement se tait. (...)

*

Diên Biên Phu, un acharnement suicidaire (chapître 23)

(...)
L'Etat-major porte aux nues son intelligence ulysséenne et tant brocarde les faibles facultés cérébrales de l'ennemi que la fortification du camp est bâclée, le béton refusé. Le 30 novembre 1953, De Castries commande Dien Bien Phu et Navarre vient y fêter Noël.
- Stoppés par la supériorité de notre artillerie, ils seront écrabouillés par l'aviation. Vivement qu'on piétine ces macaques ! Ah, non, non ! Ne faudrait pas qu'ils nous privent de la bataille ! Bandes de lâches, qu'attendez-vous ?
Le général Cogny, le général la Vitesse, grand partisan de l'offensive, renseigné sur la trop forte concentration du Vietminh, suggère une prudente évacuation.
- Au contraire, qu'ils tombent tous dans le piège !
Le général Blanc tire le signal d'alarme.
- Et si les canons viets détruisent la piste d'aviation ?
- Impossible, Giap ne possède que des canons légers, jure Piroth, le chef de l'artillerie. Les Viets devront les amener à découvert. L'aviation les mettra en bouillie.
- Et s'ils ne sont pas aussi cons qu'on le pense ?
- Ce Giap n'est qu'un général d'opérette âgé de quarante-trois ans. Il n'a suivi aucune école militaire.
Le 13 mars, à 17 heures 20, au jour tombant, le groupe de soldats consolidant la tranchée nord s'arrête net de plaisanter, tous lèvent la tête vers un bruit sourd, long, amorti par le sol. Puis un autre, un autre, un autre, le battement étrange d'un cœur immense qui s'élance doucement depuis les montagnes en secouant la poitrine de l'espace.
A 17 heures 30, les postes crépitent à Hanoï. L'opérateur-radio court au QG des officiers rassemblés pour l'apéro. Dans l'atmosphère électrisée, le général Cogny parcourt des yeux le message puis soudain lève les poings en l'air, cœur exalté :
- C'est parti !
Explosion de joie. Dans un commun élan tous se dressent debout, entonnant une Marseillaise vibrante et si puissante que même les murs tremblent au bord des larmes en se donnant des tapes sur l'épaule : « le jour de gloire est---arrivé.» La ruse a marché !
Comme la Colonie l'attend, cette pluie bénie de mitrailles, de bombes et de napalm, après deux années de sécheresse militaire ! «Qu'un sang impur abreu---ve nos sillons.»
- On va s'les faire, les écraser comme des cafards.
La bataille de Diên Biên Phu a démarré comme prévu ce 13 mars. L'imprévu, c'est cette averse de milliers d'obus en à peine trois heures, partis des hauteurs, des 105 mm très précis, un concerto si assourdissant que sur place l'Etat-major du colonel De Castries chancelle, pétrifié sous le choc.
(…)
Dans le salon de coiffure de Suzanne, les Européennes échangent les nouvelles à voix basse avec des têtes d'obus déterrés. L'espace du salon, spacieux, crisse de partout. Fred, le professeur de Paris, fait d'habitude des merveilles auprès de ces dames qui se le disputent, mais en ce jour, 18 mars, toutes se tournent affolées vers Suzanne. Les journaux matraquent : « La tête des défenses, Gabrielle, n'est plus, décapitée ! Anne-Marie, son bras gauche, broyée ! »
- Suzanne, vous, la spécialiste militaire, ne pensez-vous pas que la presse nous enfonce un peu vite ?
- Le bataillon Bigeard, rassure une autre, vient d'être parachuté. Nos chefs annoncent sa contre-offensive sur les crêtes, le Vietminh recule de partout. Vous verrez, Bigeard va renverser la situation. Suzanne, vous avez connu Cao Bang, dites-le nous franchement.
- Je ne veux pas être un oiseau de malheur, répond Suzanne, nos chefs nous bernent.
Toutes les clientes, scandalisées, l'entourent.
Bigeard n'est pas Jésus, il ne peut pas multiplier ses paras comme des petits pains. Sa percée sera vite bloquée. Comme à Cao Bang, il sera noyé sous la masse des Viets.
- Vous oubliez que nous avons la supériorité des avions !
- Elle est vaine. Les Viets attaquent la nuit. Les bombardiers et nos avions de chasse ne peuvent être qu'impuissants dans la purée des moussons contre des canons indécelables. De plus, venant d'Hanoï à 300 kilomètres, 600 avec le retour, ils sont trop courts en carburant contre une DCA inattendue et massive qui les tire en plein vol. La bataille aérienne est perdue.
- Suzanne dit vrai, Madame. J'ai lu ce matin que leurs cargaisons doivent être larguées à la va vite, munitions comprises, et que nombre d'entre elles tombent chez l'ennemi. Un comble !
- La situation est donc foutue. C'est bien ça, Suzanne ?
- Complètement foutue. Giap a compris que la piste d'aviation est le cœur et le nerf central du camp. Il la transforme en gruyère. Atterrissages impossibles. Plus de ravitaillement ! Plus d'évacuation des blessés !Tous condamnés à souffrir et à mourir.
- Vous voulez nous faire peur !
Il n'y a plus dans le salon que des femmes terrifiées, zézayant d'une voix blanche, paralysées sous le choc d'une vérité brutale dont elles prennent enfin la gigantesque mesure et que leurs fiers compagnons n'avaient même pas envisagée.
- Pas du tout. Le Tonkin va voler en éclats. Hanoï est déjà en ébullition. Nos chefs feraient mieux d'arrêter les combats.
Ce ne sont plus des cheveux qui tombent au sol mais des sanglots, des claquements de dents.
- Comment pouvez-vous dire ça ? Non, non, face à ces misérables gringalets, il faut se battre pour sauver l'honneur de l'Armée !
- Croyez-vous que le massacre de nos soldats sauvera l'Indochine ? Il n'y a pas de honte à reconnaître les Vietnamiens plus forts. Nos chefs y seront obligés de toutes les manières. Qu'ils aient la grandeur de sortir nos jeunes de ce piège où ils les ont placés comme appât, eux ne risquent pas leur peau. Je vous propose un appel : La bataille est perdue. L'honneur, aujourd'hui, c'est de sauver nos hommes. Négociez l'arrêt immédiat des combats et l'évacuation des blessés ! Refusez l'acharnement suicidaire ! Nous avons un frère, un ami, un mari. Ils ont une famille et on les aime.
Appel sans réponse, a dû atterrir à la poubelle. Chaque matin, après une mauvaise nuit à se retourner, Suzanne ressent cette paralysie qui l'avait déjà saisie, comme écrasée sous un pont crépusculaire, tenant son cœur à deux mains pour qu'il n'éclate pas.
(...) Les bouchers costumés des beaux salons accusent les officiers sur place d'avoir mal exécuté la Grande Boucherie, on castre De Castries, on cogne sur Cogny, alors que le Gouvernement Laniel-Pleven, les chefs de l'Armée de l'époque et le lobby colonialiste appuyé par une extrême-droite enragée en sont les jusqu'au-boutistes : « Pas de drapeau blanc, pas de reddition ! ». Navarre lui-même, non avare de sang, demande à continuer la guerre, dénonce les négociations de paix (dont dépend le sort des prisonniers). Remplacé, il prend sa retraite. Le mythe se propage : « David a battu Goliath ! Vercingétorix vaincu par un petit César asiatique ! » - Du moins, s'indigne Suzanne, Vercingétorix a sauvé son honneur en sauvant ses hommes. Par leur rejet de toute reddition, nos chefs ont condamné non seulement nos troupes à l'abattoir, ils ont aussi condamné nos blessés et nos prisonniers à mourir dans la jungle. Quelle horreur ! - Mais le vainqueur doit appliquer les conventions sur les blessés et les prisonniers de guerre, s'emporte Fred. - Tu rêves ! Jamais notre Gouvernement n'a voulu reconnaître une guerre. Crois-tu que le Vietminh, après nos 50 jours d'averses quotidennes de bombes et de napalm sur leurs cent mille civils du ravitaillement, crois-tu qu'il avait de quoi nourrir ses 50.000 soldats affamés et soigner ses blessés quatre fois plus nombreux que les nôtres ? Leurs massacreurs sans pitié n'étaient pas leur priorité. Affreux à dire mais prévisible. Serge a été dans un camp japonais, je peux te garantir que, de toutes façons, un camp dans la jungle est un camp de la mort. Nos chefs savaient parfaitement tout ça. Pourtant, ils n'ont jamais voulu négocier l'arrêt des combats. J'enrage ! Je le crierai s'il le faut ! Ils ont choisi sciemment la mort pour nos blessés et prisonniers : - Crevez ! Vous êtes des héros ! Les héros et leurs famille s'en seraient bien passé ! J'ai mal comme une épée dans le corps. - Mais nos soldats la réclamaient, cette bataille. - On les a trompés. On a fait croire à leur invincibilité, à la supériorité de leurs chefs, de leurs armes, d'eux-mêmes. Depuis le 18 mars, Diên Biên Phu était perdu. Qu'ont fait nos chefs ? Ils ont tambouriné comme héroïque le fanatisme du combat jusqu'au bout . Comme les Nippons : On va gagner ! On est les supérieurs, on combat pour la bonne cause ! Tu parles ! L'héroïsme c'est le don de soi pour faire le bien, sauver des vies. Ici, pas du tout, qu'un seul but, tuer, tuer en masse pour rien, et puis crever soi-même. La liberté ? Quelle duperie ! La liberté des camps de la mort pour les survivants. Et pour nous, les civils ? La liberté d'enterrer nos vies construites ici. Nos chefs sont les premiers responsables de ce malheur, qui osera le dire ? D'un côté la ré-éducation, de l'autre le bourrage de crâne. Nous avons été trahis. - Pourquoi ont-ils fait ça ? - L'héroïsme leur sert à camoufler l'ampleur de leur trahison, à masquer le désastre de leur idéologie colonialiste supérieure et raciste. C'est un tour de passe-passe pour donner le change et manipuler l'opinion. (...)

*

Quand la folie préside...(chapître 25)
(…)
Saigon tomba le 30 avril 1975.
Après 90 ans de colonialisme et 30 ans d'horreurs (on songe à Leclerc), le Vietnam réunifié refit surface, le Parti Communiste proclama la République Socialiste du Vietnam. Cette seconde guerre de l'Indochine fut d'une barbarie extrême, deux fois plus de bombes que durant la Seconde Guerre Mondiale, un déluge de fours crématoires - 400 mille tonnes de napalm - doublé d'un déluge de 80 millions de litres d'agent-orange Monsanto sur les forêts, les rizières afin d'extirper toute vie.
L'Apocalypse au carré.
Le Monde libre américain, dupant son peuple et fracassant ses manifestations anti-guerre, se donna la liberté de sacrifier 58.000 des siens et 350.000 blessés dans un conflit qu'il savait ingagnable depuis 1963 (le révélèrent les « Pentagon papers » de Daniel Ellsberg en 1971), saignant le pays adverse de centaines de milliers de morts pour assurer les ambitions idéologiques et électorales de ses présidents.
Quant au Laos ? 16 % de sa population effacés, 500.000 morts, un pays noyé sous le déferlement des bombes américaines, dont aujourd'hui 80 millions de sous-munitions attendent encore d'exploser dans les forêts et les rizières.
Et le Cambodge ? les Américains renversèrent la royauté pour assurer la liberté de bombarder à leurs B 52, quitte à mettre en selle les khmers rouges anti-vietnamiens. Le pays devint un camp livré à des idéologues psychopathes. Le quart de sa population, 2 millions, disparut en trois ans. En 1978, l'armée viet les chassa.
La note fut très lourde pour les vainqueurs : une terre en sang, en cendres et en lambeaux, et une population étranglée par les Etats-Unis et la France qui, oubliant leurs devoirs de « réparations de guerre », prolongèrent l'agression par un embargo atroce, lequel renforça le régime pour juguler toute opposition. L'armée vietminh avait pu résister à l'enfer grâce à une discipline de fer et une haine de l'ennemi par-dessus la peur, la faim, l'horreur. Cette haine de soldats efflanqués se lâcha dans une épuration contre tous les profiteurs, soutiens corrompus, forces militaires, tout ce qui sentait de près ou de loin l'américain : un million en camps de rééducation. Deux millions en fuite vers des camps thaïlandais. 400.000 purent gagner les Etats-Unis, 250.000 boat-people périrent en mer.
La vive indignation kilométrique de certains sur le sort subi par les 10.000 prisonniers français dans des camps atroces, soumis à la rééducation dite communiste - est indiscutablement légitime. Toute pensée, toute action totalitaire doit être rejetée de toutes ses forces. Mais pourquoi ce silence assourdissant envers la planification militaire et gouvernementale jusqu'au-boutiste qui les a livrés inutilement à ce destin tragique ?
Pourquoi cette absence d'indignation pour les 30.000 résistants vietnamiens inutilement torturés, tués dans les prisons coloniales ?
Pourquoi ce rien pour les 40.000 Vietcongs et les 200.000 civils, à 80 % innocents, inutilement torturés ou tués dans les prisons du Sud ?
Pourquoi ce rien pour les 2 millions de jeunes soldats vietnamiens inutilement fauchés de part et d'autre et ce rien pour les 2 millions de civils inutilement massacrés dans leurs villages, assassinés par bombes, par balles, grillés au lance-flammes ou au napalm, par l'héroïsme français et américain.
Car il fallait oser le faire !
Au bout du compte, ah oui ! quel bilan global héroïque, 7 millions de morts et autant de blessés pour ces trois petits peuples de l'Indochine !
L'anti-communisme, assaisonné de racisme, a été un bel instrument idéologique pour éduquer les cerveaux à cette barbarie extrême, pour la masquer, la légitimer. L'indignation ne peut se crier d'un seul bord, ses larmes se doivent de condamner la barbarie d'où qu'elle vienne, et de voir d'où est partie la mèche.

La manière dont l'Etat français a traité le bilan de la guerre et maltraité ses milliers de réfugiés franco-vietnamiens confirme la pratique d'un racisme d'Etat. Certes, un racisme antinomique à l'égalité de droit des individus mais bel et bien produit, tartiné à l'échelle du pays par l'esprit colonial avide et agressif derrière une « démocratie » viciée par l'appât boulimique du gain, détournée au service prioritaire des puissants jusqu'au mensonge à ras bord et à la trahison d'Etat.
Sa charitable idéologie de civilisation supérieure et de meurtre patriotique a bel et bien été défendue avec brutalité et bonne conscience au profit d'une pyramide d'hommes enfumeurs experts, fers de lance tartuffes des trafics en tous genres sous la férule des rois de la finance, de l'industrie, de l'armement, du charbon et de la maîtresse Banque d'Indochine.

Ces « premiers rapatriés de l'histoire de France » - anciens combattants, invalides, veuves de guerre, en majorité des femmes et des enfants - pour avoir souffert et cru en la France, furent en retour, comme une punition, parqués dans le silence et la misère, abandonnés dans d'anciens camps militaires bourbeux et entourés de barbelés, comme pour les charger, boucs-émissaires, de porter la honte à cacher.
Pas de vagues !
Une mise indigne au placard.
Presqu'une mise en tombe. Des exilés innocents et sans défense enterrés vivants au milieu de nulle part.
Au Centre d'accueil de Sainte-Livrade sur Lot, 1.211 d'entre eux, totalement démunis et traumatisés, furent empilés dans une vingtaine de baraquements militaires sans eau chaude ni sanitaires corrects. Les toilettes à l'extérieur en plein hiver et des lits de fer pour y entasser les enfants. Un camp en autarcie administré par des cadres coloniaux avec couvre-feu et brimades, allant jusu'à exploiter le travail des enfants pendant plus de 8 heures aux champs et méprisant ouvertement ces rapatriés tels des niakoués. Ces derniers, avec un peu d'aide sociale et médicale, se débrouillèrent ensemble pour survivre, créant leur « petit village vietnamien avec sa cuisine, ses herbes, sa petite pagode et sa chapelle ».
Soixante ans après, on pouvait y rencontrer quelques derniers survivants entourés de leurs enfants devenus adultes, mobilisés contre un deuxième oubli annoncé : leur expulsion du lieu. Un nouveau déracinement. Un effacement de leur histoire, de leur résistance pour exister, de leur mémoire.
(...)
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